Eject, eject, eject! Quand ces mots sont répétés de façon expéditive, un processus technologique complexe se met en branle pour sauver la vie des aviateurs. Pour mener à bien cet exercice, chaque aspect du système de sécurité doit fonctionner au quart de tour, de l’initiation au sauvetage, en passant par le dégagement du parcours d’évacuation, la séquence d’éjection, la stabilisation, l’équipement de vie et la descente en parachute. Après tout, le siège éjectable est en quelque sorte la dernière chance de survie des pilotes Top Gun.

Inventée par les Allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale, la technologie derrière le siège éjectable n’a jamais cessé d’évoluer, surtout depuis que les aéronefs modernes ont brisé le mur du son. Au cours des 70 dernières années, l’entreprise britannique Martin-Baker a été le plus important fournisseur de sièges éjectables. L’entreprise peut se targuer d’avoir sauvé plus 7 600 vies à ce jour, d’autant plus qu’environ 17 000 de ses systèmes d’éjection sont toujours en fonction aujourd’hui.

L’avion de combat Hawker Hunter, conçu dans les années 1950 et utilisé en combat aérien jusqu’en 2014, est justement doté d’un siège Martin-Baker. Désormais principalement employé dans le cadre de programmes de formation et de soutien pour missions aériennes, cet avion transsonique doit être entretenu et réparé de façon méticuleuse. L’entreprise québécoise Lortie Aviation vise à prolonger la durée de vie du Hawker Hunter et à offrir à ses clients un environnement sécuritaire pour le vol. Pour compléter son groupe de travail bien organisé, l’équipe d’entretien des aéronefs a eu recours aux experts de Creaform Ingénierie, à leurs outils de pointe et à leurs solutions novatrices.

 

Hawker Hunter sur la bande d’atterrissage par temps ensoleillé, avec un pilote au cockpit.

Hawker Hunter sur la bande d’atterrissage

Réduction des risques de blessures et amélioration de la sécurité des pilotes

Lortie Aviation a confié à Creaform Ingénierie la tâche d’identifier les risques actuels de blessures au dos pendant l’éjection du pilote, et de proposer des correctifs au design afin de réduire la gravité et l’occurrence de ces blessures.

Afin d’accomplir sa mission avec brio, l’équipe de Creaform Ingénierie s’est d’abord concentrée sur la modélisation de l’impact sur le corps du pilote à l’éjection. Après avoir analysé les résultats, l’équipe a été en mesure d’identifier les mesures de mitigation à mettre en place pour réduire les risques de blessures au dos et améliorer la sécurité des pilotes.

Au cours de ce projet, les ingénieurs ont eu recours à plusieurs techniques : scan 3D, modélisation 3D (pour la rétro-ingénierie du siège du pilote), essais physiques pour la caractérisation des matériaux, et simulation numérique (plus précisément, l’analyse dynamique par éléments finis, avec intégration temporelle explicite au moyen de l’hydrocode LS-DYNA).

 

 

À gauche, scan 3D du siège éjectable. À droite, modèle 3D du siège du pilote avec géométrie simplifiée.

Scan 3D du siège éjectable et modèle 3D du siège du pilote avec géométrie simplifiée

Survie et traumatismes spinaux

Lorsque la séquence d’éjection est initiée, le siège est propulsé à l’extérieur de l’aéronef avec une grande quantité d’énergie cinétique, entraînant le pilote avec lui. Puisque l’impulsion provient de sous le siège, une charge intense passe du siège au pelvis, puis à la colonne vertébrale.

L’accélération pelvienne et les forces lombaires sont si puissantes au moment de l’éjection que le corps peine à absorber toute l’énergie. Cela se traduit par des risques élevés de fractures vertébrales aux parties inférieures de la colonne. Étant donné de nombreux cas récents d’éjection ayant causé des blessures graves, Lortie Aviation a demandé à Creaform Ingénierie d’étudier la conception du siège et de proposer des stratégies de mitigation visant à réduire l’impulsion et l’amplitude maximale d’accélération transmises au corps du pilote.

 

La simulation numérique à la rescousse

Creaform Ingénierie a employé la simulation numérique dynamique avec intégration temporelle explicite au moyen de l’hydrocode LS-DYNA pour reproduire la dynamique de l’éjection du pilote par un siège Martin-Baker MK3 à bord d’un avion de combat Hawker Hunter.

Le travail initial consistait à mesurer les effets d’un ajout de mousse hautement viscoélastique au siège, et à évaluer sa capacité à réduire les risques de blessures au moment de l’éjection. Tout d’abord, les experts en simulation numérique ont numérisé les composants structurels du siège pour obtenir une représentation 3D de celui-ci. La structure a ensuite été discrétisée (c.-à-d. que la structure continue a été divisée en une série de petits éléments) afin de permettre une modélisation mathématique avec un modèle par éléments finis.

 

: Ingénieur devant son écran d’ordinateur, regardant un modèle numérique du siège d’éjection affichant une discrétisation.

Modèle numérique du siège éjectable affichant une discrétisation.

Peu d’énergie transférée et charge très intense

Puisque le Hawker Hunter est équipé d’un ancien modèle de siège Martin-Baker (MK3), Creaform Ingénierie a dû communiquer avec les fournisseurs de la mousse et des composants actuels. Cela a permis à l’équipe d’entamer la mise à niveau au moyen d’un amalgame de mousse qui allait absorber l’énergie efficacement.

Grâce au modèle par éléments finis, les ingénieurs ont conclu que la nouvelle mousse réduisait effectivement l’impulsion absorbée par le corps humain. En revanche, la mousse augmentait l’amplitude maximale de la force transmise. Puisque les mousses viscoélastiques durcissent selon la vitesse de la force appliquée, et que la force est exercée très rapidement pendant l’éjection, cela se traduit par une charge de pointe très élevée. Et donc, une énergie moindre est transférée, mais une charge intense est générée pendant une fraction de seconde, ce qui peut s’avérer dangereux pour le corps humain.

 

Autres solutions novatrices pour venir en aide mannequin numérique instrumenté

Les experts en simulation numérique ont aussi utilisé un modèle numérique de dispositif anthropomorphe d’essai (ATD) simplifié – un mannequin numérique instrumenté, pratique très répandue dans l’industrie automobile pour effectuer des tests et prédire les blessures – avec sorties cinétiques et cinématiques visant à établir les risques de blessures. Ils ont effectué le suivi de l’accélération et des forces transmises du siège au pelvis, puis à la partie inférieure de la colonne vertébrale. La littérature scientifique a ensuite permis de définir les limites à ne pas franchir pour prévenir les risques de fracture.  Cette approche de modélisation simplifiée ayant pour but de prédire les blessures a permis aux ingénieurs de procéder à plusieurs itérations rapidement et de tester les différentes améliorations qui pourraient être intégrées au siège.

 

Modèle numérique avec dispositif anthropomorphe d’essai (ATD) simplifié montrant un pilote assis et attaché au siège éjectable.

Modèle numérique du siège éjectable avec dispositif anthropomorphe d’essai (ATD)

Scan 3D

Les experts de Creaform Ingénierie ont aussi effectué un scan complet du siège et des coussins en mousse. Ils ont même numérisé une personne assise sur le siège et maintenue en place par les courroies de retenue afin de comprendre la position du harnais dans l’espace physique. Ils ont ainsi pu utiliser les données de scan 3D pour positionner le mannequin numérique.

En outre, l’équipe a eu accès aux dessins d’origine du siège éjectable Martin-Baker MK3 afin d’étudier les matériaux employés à l’époque et la dimension des composants, en prenant en compte chaque petit détail, le tout dans le but de reproduire avec précision le modèle 3D et le modèle par éléments finis du siège.

 

Simulation de l’éjection

L’équipe de simulation a appliqué l’impulsion à l’éjection induite par les cartouches explosives du siège. La charge avait initialement été déterminée selon les spécifications du siège Martin-Baker MK3 et les résultats des essais de cartouches. Ensuite, les ingénieurs ont effectué le suivi de l’accélération et des charges appliquées aux différentes parties du corps, y compris le pelvis et les régions lombaires. Ils ont ainsi pu extraire les données cinétiques et cinématiques à ces points donnés. Ils ont ensuite modifié la position initiale du corps et le réglage du harnais afin de mesurer leur influence sur la cinématique des différentes parties du corps. Et donc, l’équipe d’experts a constaté que, étant donné l’orientation de l’éjection (afin d’atteindre la vélocité prescrite), une charge massive était transmise du siège au pelvis, puis à son tour du pelvis à la colonne vertébrale.

Après avoir effectué d’autres calculs, les experts de Creaform Ingénierie ont pu établir une corrélation entre la gravité des blessures et l’intensité de l’accélération et des forces. Par conséquent, l’équipe a été mesure d’envisager des stratégies pour réduire l’impulsion et l’intensité de la charge liée à l’accélération pelvienne dans le but de réduire les risques de blessures.

 

Représentation détaillée du corps humain

Afin de représenter adéquatement la réponse dynamique du corps humain par rapport aux blessures identifiées, l’équipe a décidé de remplacer le modèle ATD simplifié au moyen d’un modèle numérique biofidèle (THUMS modèle mâle, 50e percentile). Le modèle du corps humain a permis de voir l’effet qu’avait la dynamique d’éjection sur chaque vertèbre et chaque disque intervertébral, et sur certains tissus mous. L’équipe a donc pu avoir une juste représentation des efforts exercés sur la partie inférieure de la colonne vertébrale, et ainsi relever les blessures potentielles à la colonne, aux os et aux autres tissus. Grâce à cette modification, les experts ont gagné en précision dans leur évaluation des risques de blessures.

 

Vue en coupe d’un modèle numérique biofidèle révélant les vertèbres, les disques intervertébraux et certains tissus mous du pilote.

Vue en coupe d’un modèle numérique biofidèle révélant les organes internes du pilote.

 

L’objectif était d’étudier non seulement la conception du siège, mais aussi la procédure et la séquence d’événements lors d’éjections. Creaform Ingénierie a ainsi pu suggérer à Lortie Aviation de meilleures pratiques : positionnement amélioré, paramètres de fonctionnement (réglage du siège, tension des courroies), forces externes agissant sur les composants, et bien plus.

 

Modifications à la conception du siège pour réduire les risques de blessures

Comme il a été démontré au moyen du modèle par éléments finis, la mousse hautement viscoélastique, lorsqu’employée seule, réduit l’impulsion (force × temps), mais entraîne une charge de pointe initiale élevée. Les ingénieurs devaient donc trouver une façon de limiter et d’absorber cette charge de pointe initiale qui causait des blessures dorsales. C’est ainsi que l’idée d’insérer une matière qui pourrait se déformer de manière permanente – comme une structure alvéolaire – a émergé comme la meilleure solution pour réduire à la fois l’impulsion et la pointe de l’accélération pelvienne et des charges lombaires.

À gauche, la structure compressible en aluminium, intacte. À droite, la même structure compressible en aluminium, mais déformée après l’essai.

Comparaison entre l’état intact (avant l’essai) et l’état déformé (après l’essai) de la structure compressible en aluminium utilisée pour la conception du nouveau siège.

 

L’équipe savait qu’elle pouvait libérer de l’espace sous le siège et ainsi ajouter de la matière sans toutefois aller à l’encontre des certifications Martin-Baker d’origine. Par conséquent, les experts ont ajouté une couche d’aluminium alvéolaire à la configuration existante. Le matériau est précomprimé à l’étape de fabrication afin de garantir une compression optimale lorsque le pilote éjecté atteint une certaine accélération. De cette façon, le pilote s’enfonce naturellement dans le siège au moment de l’éjection, et le siège absorbe l’énergie pour réduire les risques de blessures graves à la colonne vertébrale.

 

Design amélioré, pilote en sécurité

Creaform Ingénierie a employé la simulation numérique avancée pour reproduire la dynamique de l’éjection du pilote par un siège Martin-Baker à bord d’un avion de combat Hawker Hunter. Après l’analyse des simulations, l’équipe a été en mesure de proposer et d’intégrer des stratégies de mitigation du risque afin de réduire l’impulsion et la pointe de l’accélération pelvienne et des charges lombaires.

 

Munis de modèles par éléments finis, les experts en simulation numérique ont proposé plusieurs améliorations à la conception du siège afin de réduire l’énergie transmise au pilote au moment de l’éjection. Ils ont également su démontrer que ces modifications allaient permettre une meilleure répartition temporelle des forces et de l’accélération. Désormais convaincue que les analyses et les simulations numériques effectuées au moyen de modèles et de mannequins biofidèles allaient réduire les risques de blessures à la colonne vertébrale, Lortie Aviation a décidé d’aller de l’avant avec la nouvelle configuration du siège éjectable.

 

Experts de chez Creaform Ingénierie en mode remue-méninges, examinant un échantillon de structure compressible.

Creaform Ingénierie en mode remue-méninges pour un échantillon de structure compressible

Simulation numérique : une technique accessible et rentable

Creaform Ingénierie a résolu ce problème bien réel grâce à la simulation numérique.

L’éjection d’un pilote à partir d’un Hawker Hunter nécessiterait normalement des mises à l’essai risquées et très coûteuses. Grâce au numérique, le procédé est devenu réalisable, abordable et facilement répétable. En plus, cette méthode peut aussi s’appliquer à d’autres industries.

En peu de mots, développer des prototypes et procéder à des essais physiques est une approche complexe et coûteuse. La simulation numérique offre les mêmes avantages, sans les coûts exorbitants. L’investissement consiste principalement à concevoir le modèle numérique. Une fois en vigueur, le modèle construit est directement réutilisable pour une grande quantité d’analyses, ce qui se traduit par des gains considérables et par un excellent rendement de l’investissement.

Chez Creaform Ingénierie, la simulation numérique est une discipline avancée et maîtrisée. Elle permet d’effectuer peu d’essais physiques et d’approfondir les connaissances sur les enjeux en cause.

– Pier-Olivier Duval, directeur des opérations – simulation numérique, Creaform Ingénierie

Après tout, si les experts de Creaform Ingénierie sont en mesure de résoudre des problèmes complexes, comme réduire les risques de blessures au dos causées par une éjection en pleine zone de danger, ils peuvent assurément apporter de la valeur à n’importe quel processus de développement de produits, peu importe l’industrie.